L’orgue Wurlitzer de Clapham Junction au Collège Claparède

L’orgue Wurlitzer de Clapham Junction au Collège Claparède

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À la fin des années 1930, la majorité des grands cinémas du Royaume-Uni possédaient un orgue de cinéma. Leur taille varie de quatre rangs de tuyaux [1] seulement, comme dans l’Astoria Cinema d’Edimbourg et le Ritz de Horsham, à l’instrument de 21 rangs du grand Trocadero Cinema du sud de Londres. La plupart étaient construits par Compton à Londres, mais beaucoup provenaient de la firme américaine Wurlitzer. Il existait aussi plusieurs autres manufactures britanniques d’orgues de cinéma, la plus connue étant Christie, la branche dédiée aux orgues de cinéma du fabricant d’orgues classiques Hill, Norman and Beard.

La majorité des instruments étaient de taille modeste, avec six à huit rangs de tuyaux, et avaient souvent du mal à se faire entendre à travers le bruit des bavardages du public pendant l’entracte d’un film. Compton s’ingénia à surmonter ce problème en choisissant soigneusement six rangs de puissants tuyaux d’anche pour dominer le bruit de fond. Les petits orgues Wurlitzer étaient généralement plus orchestraux dans leurs spécifications et leur harmonisation, et étaient sans doute plus raffinés que ces petits Compton bruyants.

Pour ses dernières installations en 1937-38, la compagnie de cinéma Granada voulut concevoir un orgue Wurlitzer de huit rangs qui serait musicalement polyvalent, mais en même temps capable de se faire entendre dans le bruit d’un grand théâtre. Cet objectif fut atteint par le « Wurlitzer Granada Mark 2 », dont six exemplaires furent fournis, peut-être contre l’avis de la société Wurlitzer aux États-Unis ! Sur les huit rangs, trois étaient des anches imposantes – un tuba au son large, un cor anglais fort et tranchant et un saxophone en cuivre qui se mélangeait bien avec l’opulent tibia (gros bourdon) pour créer un effet orchestral clair et sonore. Gambe et Céleste contribuaient à développer des ensembles puissants, complétés par une flûte et un diapason. Le clavier supérieur était essentiellement un clavier d’accouplement, mais disposait également du tibia et du cor anglais en 8’, ainsi que du piano et du xylophone. Ceux-ci pouvaient donc rapidement se joindre aux mélanges programmés sur les deux autres claviers pour un crescendo rapide ou des effets de variété et de dramaturgie jazzy.

Malgré l’accent mis sur le volume sonore, cette spécification fonctionnait bien sur le plan musical, et les instruments Granada 3/8 Mark 2 devinrent rapidement très appréciés. Six seulement furent installés, tous autour de Londres, dans les théâtres Granada de North Cheam, Harrow, Clapham Junction, Greenford, Welling et Slough – dans cet ordre.

L’instrument de Clapham Junction, opus 2218, est sorti d’usine en septembre 1937 et a été inauguré dans le théâtre en novembre de la même année. De tous les orgues « Granada Mark 2 », il était généralement considéré comme le plus réussi. Le son s’amplifiait très bien depuis les deux chambres expressives sous la scène et produisait un résultat merveilleusement rond et dynamique dans l’acoustique de ce théâtre qui lui allait comme un gant !

Sa popularité fut très rapide notamment à la radio et des organistes célèbres s’y succédèrent : Donald Thorne, qui l’inaugura, Robinson Cleaver, Harry Farmer, Stuart Barrie, Reginald Dixon avant la Seconde Guerre mondiale, et Dudley Beaven jusqu’à sa mort prématurée en 1946. Bryan Rodwell le joua fréquemment dans les années 1950, et Jackie Brown fut un habitué des années 1960 et 1970.

Ma première expérience du Wurlitzer de Clapham Junction remonte à 1970. Jackie Brown était à la console et je fus subjugué, non seulement par la puissance galvanisante de l’orgue, mais aussi par la façon dont Jackie était capable de tirer les sons les plus chaleureux et les plus doux de ces huit rangs. Aujourd’hui, plus j’écoute les enregistrements de cet instrument, plus je l’aime.

L’orgue sonne magnifiquement dans sa nouvelle demeure à Genève et les travaux se poursuivent pour le conserver au mieux dans son état d’origine après plus de 80 ans de divertissement du public. Les Amis de l’Orgue de Cinéma du Collège Claparède ont engagé les facteurs d’orgues britanniques Abi et Robert Balfour Rowley, dont l’expérience des orgues de cinéma permettra à l’instrument de rester l’un des meilleurs de sa catégorie.

Des événements réguliers sont organisés pour initier une nouvelle génération à l’expérience magique de l’orgue de cinéma, dont un grand festival annuel avec de la musique, des films et d’autres événements, tels que la master classe donnée par le meilleur organiste de théâtre britannique Simon Gledhill qui a également enregistré un CD sur cet orgue à Genève pour célébrer son 80e anniversaire en 2017.

[NDLR (2022) : d’autres master-classes ont été données par Laszlo Fassang, Thierry Escaich, Len Rawle, Guy Bovet et Monica Melcova].

Naturellement, j’ai été triste de voir le Wurlitzer retiré de son cinéma en 1980, mais je suis ravi qu’il ait trouvé une nouvelle vie dans les mains d’un groupe aussi compétent et dévoué au Collège Claparède, qui l’entretient avec amour afin de garantir que le son unique de Clapham Junction perdure pour le bonheur des générations futures.

John Leeming
Mars 2021


[1] Dans les orgues de cinéma, les registres sont unifiés à différentes hauteurs que l’on définit en pieds (16’, 8’, 4’ etc.) et sont donc comptabilisés en rangs.


Crédit photo : Terry Hooper

John Leeming, enseignant retraité de Londres, s’est intéressé à l’orgue de cinéma depuis l’enfance. Il est vice-président de la Cinema Organ Society, un organisme anglais qui soutient et promeut l’orgue de cinéma comme instrument de musique et de divertissement.